Les séries spéciales

Serge Gevin était étalagiste au magasin du Printemps à Paris lorsque  Claude Puech, directeur de la publicité, lui demanda en 1975 un projet pour une 2 CV commercialisée à tirage limité, comme certains constructeurs américains avaient commencé à le faire.

Gevin propose deux projets : une Trèfle jaune à ailes et capote noires, en mémoire de la célèbre 5 CV “petite Citron” de 1922, qui est refusée, et une Transat, ambiance rocking-chair, blanche avec un toit en toile rayée orange et blanc. Elle est acceptée et sera commercialisée en avril 1976, sous le nom de Spot et avec une capote orange uni, à 1 800 exemplaires en France en version 425 cm3 ; en 1977 à 200 exemplaires en Suisse en version 602 cm3.  

Gevin propose d’autres dessins à Bernard Planche (qui a succédé à Claude Puech, appelé à diriger la Société française de Publicité du groupe PSA). 

Ceux qui sont retenus sont maquettés sur une 2 CV réelle. En 1977 est ainsi réalisée, puis commercialisée, une élégante Dyane Caban bleu marine à roues, toit et filets blancs, très yatchman (1 500 exemplaires).

1979. Exceptionnellement, Gevin travaille sur une voiture réelle qu’il a demandée rouge Delage avec ailes et porte de coffre noirs. Il l’a placée dans le jardin de ses parents, en banlieue parisienne, et colle dessus des papiers pour obtenir le graphisme qu’il cherche : le tracé blanc arrondi en bas des portières, qui deviendra célèbre. Il l’appelle Dolly, mais Citroën préfère, à juste titre, la nommer Charleston. 

Au Salon de Paris 1980, cette 2 CV 6 est commercialisée en une série spéciale limitée à 8 000 exemplaires. Le succès est si grand que le 1er juillet 1981, elle est mise au catalogue (phares chromés au lieu de rouge et tissus de sièges gris au lieu du pied-de-poule de la série limitée). Cette année-là, la Charleston aura le meilleur taux de conquête (43 % de ses ventes sont faites aux clients de parcs concurrents) de tous les modèles Citroën. 

En novembre 1981, Citroën ajoute une version jaune hélios et noir, puis gris cormoran et noir. Quelques exemplaires vert et noir seront vendus hors commerce.  

Planche commande ensuite à Gevin des propositions pour une autre série spéciale dans le même style rétro que la Charleston, mais en simplifiant l’exécution, qui demeure trop complexe en usine. Gevin présente trois projets :

1. Une merveilleuse “fausse Bugatti” qu’il nommera d’abord Bug, puis Petite Rosalie en souvenir de la Rosalie des records du monde des 300 000 km en 1933 ; elle est d’un bleu soutenu, et blanc, avec deux courroies autour du capot-moteur, une imitation de tôle rivetée sur les côtés du capot et la porte de malle, des sièges en cuir : refusée.

2. Une Torpédo Cabourg blanc et beige avec une capote rouge foncé ; refusée.

3. Un cabriolet Dolly à carrosserie blanche, ailes arrière et porte de malle rouges. On s’aperçoit qu’en supprimant simplement un filet latéral jugé superflu, on peut disposer là d’un véhicule facile à monter : ailes, porte de malle et toile de toit en couleurs. Gevin étudie toute une palette, et comme le film “Diabolo menthe” vient de sortir, il intitule la série Diabolo, avec sa gamme de parfums : fraise, pistache, citron, cassis… 

On retiendra finalement le nom de Dolly, dont une première série de trois combinaisons de teintes (blanc et gris, gris et champagne, gris et rouge) est lancée en mars 1985, à 1 500 exemplaires pour la France, 1 500 pour l’Italie, la Grande-Bretagne, l’Autriche. En Fabrication et aux Pièces détachées, on est enchanté : c’est là le moyen de résorber élégamment les stocks excédentaires en ailes, portes de coffre, ou capots, selon les cas. En septembre 1985, on lance donc une nouvelle série Dolly, plus gaie (blanc/vert, blanc/rouge, champagne/bordeaux). Une troisième série suivra en 1986. Mais déjà, Gevin pense à un nouveau projet : c’est l’année de la Coupe du monde de football. La France peut la gagner, la France doit la gagner. Pourquoi pas une 2 CV pour fêter l’événement ? Sur une caisse blanche, les portières avant seront bleues, les portières et les ailes arrière rouges. On placera un adhésif représentant un ballon de football sur la portière avant. La France est battue ! Mais la voiture plaît au service commercial : on la sort tout de même, sans adhésif, à 1 000 exemplaires réservés à la France, en octobre 1986. Elle est tricolore et patriotique, on l’appelle Cocorico. “Elle est vraiment trop !” dit la publicité.

Gevin a proposé bien d’autres projets. On peut regretter que certains d’entre eux n’aient pas été réalisés, par exemple la charmante Églantine (1976) bleu ciel et blanc, avec des sièges en tissu à fleurs de Laura Ashley choisi par Mme Gevin ; ou bien l’amusante Capitaine Haddock, baptisée ensuite Suroît (1983) avec sa capote en ciré jaune de marin ; ou encore la très raffinée Sulky (1986) : ailes noires, carrosserie champagne à cannelage en demi-lune sur les portières. On peut aimer moins la Saloon (1980), un peu naïve mais chère à Gevin qui en fit plusieurs projets, pour 2 CV et pour Dyane ; ou l’assez délirante Croisière Jaune (1983), sans ailes ni portières, il ne lui manquait que les chenilles.  

 

La série France 3 de 1983 (blanche, parcourue d’une vague bleu foncé sur le côté), une 2 CV6 tirée à 2 000 exemplaires n’est pas due à Gevin, c’est un projet de l’agence RSCG à l’occasion de la Coupe America dans laquelle Citroën sponsorisait le bateau France 3.  

 

 

Quant à la 2 CV jaune de James Bond de 1981, ce n’est pas vraiment une série spéciale mais une voiture d’exposition chez les concessionnaires, au moment de la sortie du film “Rien que pour vos yeux”, revendue ensuite (500 exemplaires) en clientèle, avec les adhésifs pour les impacts de balles.  

 

Il faudrait en citer beaucoup d’autres, qui s’engouffrèrent dans la voie ouverte par Gevin. Hors de France : l’Espagne en 1976 sort la Márcatelo à l’occasion de la Coupe du monde 1976, avec un décor de “chaussure de foot” qui rappelle la Basket en train de naître au même moment à l’école Camondo à Paris. Le Portugal produit la Dyane Nazaré aux sièges en tissu local typique. La Suisse en 1985 passe de la furieuse Fireball (rouge, à flammes orange crachées par le moteur) à la sage et écologique Ente grün (canard vert qui est en effigie sur les portières avant) – elle roule sans plomb et l’annonce comiquement : “I fly bleifrei” – qu’elle partage avec l’Allemagne, laquelle remet cela en 1988 avec une autre belle verte (avec canard) : Sausss Ente (Sauss évoque à la fois la joie et la vitesse, disons : le canard vif et joyeux). En Belgique apparaît à la même date une série publicitaire Perrier très réussie, blanche avec une fine ligne brisée verte au centre du capot, des enjoliveurs de roues en capsule de bouteille, une glacière pour eau minérale à l’intérieur… et la boule de changement de vitesse verte… Arrêtons, il y en a trop !