La fermeture du temple

À l’ultime sortie de chaîne de la 2 CV dans l’usine de Levallois, un journaliste était là : Christophe Rouot. Le 26 février 1988, il écrivait dans Le Parisien libéré : “La der des “Deuche” ! Une page de l’histoire automobile a été tournée hier, à Levallois, avec la fermeture définitive de l’usine qui construisait la 2 CV. Car, cette fois, c’est définitif : la plus populaire des Citroën prend sa retraite, même si on continuera à la fabriquer encore à Mangualde, au Portugal, au rythme de quatre-vingt-cinq unités par jour. Une fin discrète, émouvante pour les ouvriers et les voisins de l’usine.

“Dix heures trente. Pour la dernière fois, les portes s’ouvrent quai Michelet : l’usine Citroën de Levallois-Perret livre ses dernières 2 CV après quarante-deux ans de bons et loyaux services. “On est venu voir la der des ders, explique un ouvrier qui a passé sa vie avec les Deuches. Désormais, Levallois ne sera plus comme avant… Un collectionneur fanatique a traversé la France pour ne pas rater ce rendez-vous. Il mitraille la voiture et rangera les clichés dans un album, à côté de la Coccinelle, l’autre retraitée, outre-Rhin.”

“C’est Janine Dugail qui a l’émouvant privilège de conduire la dernière 2 CV jusqu’au camion de livraison. Au volant de la voiture, celle qui, depuis vingt-sept ans, sort les voitures de l’usine, est bouleversée. Pour la première fois, peut-être, elle a du mal à passer les vitesses : première, deuxième, troisième… point mort. Janine ne parle pas, ne pleure pas non plus. Elle sait que cette voiture durera peut-être vingt ans, entre les mains d’un propriétaire soigneux.

“C’était ma première voiture, confie Marcel, en avalant un verre de blanc sur le zinc, à deux pas de l’usine. Je n’oublierai jamais ces vingt-sept années passées au milieu de la peinture fraîche, du crissement des pneus, des odeurs de cambouis…” Suzanne hoche la tête. Quatre-vingt-quatre ans, les cheveux blancs, cette ancienne standardiste de chez Citroën murmure : “La Deuche me rappelle ma jeunesse… Pour elle comme pour moi, la page est tournée.”