Un article de presse prophétique

 

Le 14 octobre 1948, le rédacteur en chef de La Revue automobile paraissant à Berne (Suisse) publiait un article qui devait demeurer un modèle du genre.

Sur la seule base d’une observation attentive de la 2 CV, il avait tout compris de cette voiture et de son destin et l’écrivait :

“La nouvelle Citroën est là ! Cette voiture réellement populaire, attendue depuis des années et sur laquelle était gardé le secret le plus absolu, la nouvelle Citroën va être fournie en grandes séries dans un avenir très prochain ; et son prototype, livré à la curiosité du public rencontre déjà le plus éclatant succès.

C’est une petite voiture populaire, pour laquelle toutes les solutions propres à assurer une économie dans le prix d’établissement et dans l’emploi ont été utilisées ; c’est un essai remarquablement réussi pour offrir à une famille de quatre personnes l’occasion de faire du tourisme et de contribuer à l’activité quotidienne dans les conditions les moins coûteuses et les plus sûres, avec une vitesse et des performances réellement appréciables.

Si jamais une voiture a été en mesure de collaborer à la motorisation des masses, c’est bien la Citroën 2 CV, bien qu’elle ne soit pas jolie…”

Ce ne fut qu’un cri dans la presse parisienne et les premiers visiteurs ne se privèrent pas de rire aux dépens de cette petite voiture modeste, peinte d’aluminium grisâtre, inattendue, présentée sous le nom de Citroën 2 CV.

Citroën ne semble guère se soucier de la rumeur publique ni de l’opinion de la presse ; qu’on en parle bien, qu’on en parle mal, pourvu qu’on en parle ! Et en réalité, on en parle ! Parce que la nouvelle création de la vaste entreprise du quai de Javel est en réalité une révolution telle qu’on n’en a pas vue depuis plusieurs dizaines d’années, depuis la Quadrilette Peugeot de 1920 peut-être. Tandis que toutes les voitures lancées sur le marché sous l’appellation de “populaire”, même la VW allemande, ne sont peu ou prou que la réduction à une échelle déterminée d’une voiture normale, la nouvelle Citroën 2 CV constitue une nouveauté absolue, une création inédite, un véhicule entièrement différent de tous ceux qui circulent aujourd’hui…”

“On ne peut que la considérer comme l’une des réalisations les plus intéressantes qui aient été proposées au public automobiliste. On n’a jamais vu jusqu’ici de voiture qui ait fait l’objet d’une étude aussi rationnelle, en vue d’offrir une sécurité suffisante sans aucun excès quelconque de poids ; il n’est pas une vis, pas une rondelle, pas un centimètre carré de tôle dont les dimensions ne soient juste suffisantes et dont l’emplacement ne soit prévu pour contribuer à la solidité de l’ensemble, tout en fournissant une raison d’économie et de simplification.”

“La même caisse par exemple sert à la fois pour la conduite intérieure, la voiture ouverte, la voiture de livraison et la commerciale. Les sièges peuvent être enlevés du bout du doigt ; leur rembourrage, qui affecte l’allure d’un matelas de divan, est simple mais cependant parfaitement confortable.

L’essuie-glace est entraîné par l’indicateur de vitesse pour pouvoir diminuer la capacité de la batterie, et l’on peut également le manœuvrer à la main. Le rayon vide-poches placé sous le tablier est plus spacieux que celui d’une Bentley… et l’on trouverait encore des dizaines de détails du même ordre, des centaines même, si l’on pouvait examiner à fond le mécanisme et notamment la suspension, qui prouvent que cette voiture a fait l’objet d’une étude approfondie, entièrement différente des traditions en usage ou même simplement, des suggestions du public. Cette machine aura-t-elle du succès ? À première vue on pourrait en douter. La réaction première du public n’est guère favorable, et l’amateur se détourne des lignes peu séduisantes et de l’aspect par trop bon marché de cette carrosserie. Mais il faut reconnaître que cette voiture est la première qui soit susceptible de faire faire un nouveau progrès à la motorisation, en offrant la possibilité à des dizaines de milliers de personnes de se procurer un véhicule qui leur restait interdit jusqu’ici.”